Charte pour la conservation
Les peintures créées de la main de l’homme constituent une composante importante et impressionnante du patrimoine. Cet art créatif est toujours placé sur un support ; par conséquent, la préservation du patrimoine pictural passe à la fois par la conservation de la couche picturale et par celle du bâtiment ou de l’édifice de support…Préférences culturelles, expressions artistiques et réussites techniques : voilà ce que l’on considère comme les trois facettes principales du patrimoine pictural. La conservation des peintures, pour donner les meilleurs résultats possibles, ne doit négliger aucun de ces facteurs.
L’histoire de la peinture couvre une longue période s’étendant sur des millénaires. L’art rupestre appartient aux premières créations artistiques de l’homme dont on ait gardé une trace, puisque l’on en retrouve dès 28.000 ans avant J.-C., voire plus encore, comme en attestent les vestiges découverts en Afrique du Sud. Mais elles sont le fruit de l’application de pigments constitués argile sur une surface rocheuse non préparée. Avec le temps, les techniques évoluèrent et devinrent plus raffinées, les peintures étant posées sur une couche de préparation, elle-même recouvrant une surface denduit travaillée. Ainsi, la charte sur les peintures pourrait devoir étendre sa légitimité au-delà de cette phase précoce, afin de répondre aux plus hautes aspirations des bonnes pratiques et de la plus vaste application : ce faisant, l’art rupestre de la période préhistorique, la plus ancienne création artistique de l’humanité, pourrait également un jour être placé sous l’égide de la charte.
Au vu de ce qui précède, il est également possible que la structure supportant les peintures soit en maçonnerie, en clayonnage enduit de torchis, en bois ou dans tout autre matériau de base. Ainsi, dans l’optique d’une application la plus vaste possible, ces différences n’auront qu’un intérêt purement technique.
Une autre ambiguïté technique possible concerne les plafonds et sols/terrasses non fréquentés, qui sont peints selon les mêmes techniques que les murs. À ce titre, aux fins de la présente charte, un plafond, un mur, une marche, un escalier ou un piédestal seront également considérés comme des décorations rajoutées, où les concepts picturaux s’appliquent sans ambiguïté.
Dans le même contexte, l’application de peinture sur des statues et autres œuvres à haut et bas-relief est également un trait largement accepté et ces variations sont donc également prises en compte dans l’interprétation de la peinture dans le cadre de la charte.
Pour ce qui est de la préservation du patrimoine culturel, lorsque des techniques picturales ont été utilisées dans la chambre à relique d’un stupa au Sri Lanka, ou sur les murs d’un tombeau souterrain comme chez les égyptiens et les étrusques, et même dans des espaces pour vivre taillés dans le roc ou la terre, l’aspect patrimonial du monument est pris en compte, et les surfaces décorées traitées comme des peintures murales.
Cependant, les biens meubles pouvant présenter les mêmes techniques de peinture, comme les statues mobiles et les objets de la vie de tous les jours, resteront considérés comme des objets et non comme des peintures, à moins que l’authenticité de l’objet ne soit rattachée à un élément décoratif statique comme partie d’une surface peinte à laquelle il était à l’origine rattaché.
Enfin, on peut arguer que, de tous les éléments du patrimoine culturel immobilier conservé, les peintures peuvent être considérées comme les plus délicats et, de fait, les plus vulnérables.
Article 1 : DéfinitionLe patrimoine pictural mural peut être considéré comme l’ensemble de toutes les surfaces peintes, lorsque les éléments du bien culturel tombent sous le coup de l’interprétation des peintures évoquée dans l’introduction de la présente Charte, et se trouvent in situ.
Article 2 : Politique de protectionÉtant donné leur multitude, il serait humainement impossible de documenter ou de protéger légalement tous les monuments peints. Les appels au respect et à la sauvegarde de ces biens culturels ne sont peut-être pas une solution efficace à 100 % pour leur protection, sans compter qu’il existe d’autres factures de destruction et de détérioration, comme le climat, l’humidité, la bio-détérioration, voire l’effondrement de la structure de support. Par conséquent, les meilleures tentatives de protection seraient de classer légalement les sites, et de les surveiller avec une grande vigilance, dans l’optique d’une conservation indispensable et suivie dans le temps fournie par des professionnels qualifiés.
Article 3 : LégislationComme les autres éléments du patrimoine, les peintures devraient appartenir à l’humanité tout entière, et être soumises à une profonde obligation morale. Ces reflets de la conscience humaine devraient être inscrits dans les recueils de lois du pays, et assortis d’obligations de protection de la part des États, des gouvernements locaux, des institutions et des propriétaires privés. La législation devrait stipuler une protection obligatoire et mettre à disposition des ressources en vue de cette activité, ainsi que dans l’optique d’une recherche et d’une protection scientifiques sur site. La législation devrait porter sur le concept d’un patrimoine appartenant à toute l’humanité et à tous les peuples, et non pas à ses seuls propriétaires ou à l’État. Les lois promulguées devraient interdire la destruction, la dégradation ou l’altération des originaux et de leur environnement, hormis si les professionnels et autorités responsables sont au courant des changements et y donnent leur assentiment. Des sanctions légales doivent être instaurées pour toute violation de ces réglementations. Des dispositions légales devraient pouvoir sappliquer aux nouvelles découvertes et à celles en attente d’enregistrement. Les projets immobiliers doivent comprendre des études d’évaluation de l’impact de ceux-ci sur les biens culturels dans le voisinage.
Article 4 : DocumentationLes dossiers de l’État sur le patrimoine pictural mural doivent être exhaustifs, car c’est là l’un des points les plus délicats pour la préservation. La connaissance approfondie du site est ainsi un atout certain. Ces dossiers doivent contenir autant d’illustrations que possible, pour mieux communiquer sur les éléments du patrimoine.
Le dossier individuel de chaque site doit être aussi complet que possible. Voici une possibilité de squelette pour ce dossier :
Structure du supportEnduitCouche de préparationCouche picturaleCouche de protection
Le dossier doit être tenu sur la base des « techniques », « matériaux » et « problèmes » liés à chaque couche.
Il convient de recueillir le maximum d’informations sur les aspects techniques. Toutefois, la plus importante base d’informations sera les « reproductions des peintures ». Plus il y en a, mieux c’est. Il est absolument vital de couvrir les moindres coins et recoins d’un mur peint, car l’on ne sait jamais quelle zone risque d’être endommagé. Le dossier doit comporter, dans toute la mesure du possible, des reproductions grandeur nature, dans les « matériaux les plus durables » possibles et les couleurs les plus proches de l’original. La toile, la photographie et les enregistrements numériques sont tous des solutions utilisées aujourd’hui.
Les prochaines étapes obligatoires de la « documentation » sont les suivantes :
DiagnosticStratégies de traitementConsultation et accord sur le traitement
Les trois rubriques d’étude ci-dessus doivent s’articuler autour du même squelette qu’au paragraphe précédent, et les détails rassemblés doivent être enregistrés dans les fichiers appropriés. Ces informations doivent être conservées dans le dossier permanent du site, qui demeure un important document d’archivage. Sous les trois rubriques, il convient de répondre à des questions subsidiaires, à savoir les « Causes » et les « Schémas de détérioration ». On peut encore parfaire le dossier en classifiant lorigine de la détérioration :
Sous la rubrique Humaine, il est possible de détailler plus avant : « Industrielle », « Vibrations », « Pratiques religieuses », « Visiteurs », « Déformation dans la reproduction », etc..
L’ « Intervention » est le dernier acte, une fois toutes les étapes préliminaires menées à bien. Elle doit suivre aussi étroitement que possible l’issue des consultations et de l’accord intervenu entre les experts responsables. La réversibilité est un critère fondamental dans la formulation des stratégies de traitement. Cette action est l’apogée de tous les travaux de préparation et doit donc être soigneusement documentée, à l’aide de photographies ou d’autres enregistrements, suivant une ligne « Avant » et « Après ».
Les étapes suivantes de « réintégration » et même de « restauration » doivent être encore plus soigneusement étudiées pendant la phase de « consultation et d’accord », et ne doivent être réalisées que dans les cas extrêmes où il n’existe aucune autre alternative, avec une grande prudence, particulièrement s’il s’agit de monuments vivants.
Article 5 : Traitement et surveillance permanentsLes peintures murales sont l’une des composantes du patrimoine les plus délicates, soumises à la détérioration et à la dégradation en de brefs laps de temps du fait du manque d’attention. Par conséquent, elles nécessitent une vigilance constante. Ainsi, pour maintenir une surveillance systématique, il convient de conserver à portée de main les traitements que les peintures murales ont subi depuis la toute première intervention : il faut donc un enregistrement du « diagnostic » et du « traitement » effectués jusqu’alors, ainsi que des relevés graphiques en parallèle de la peinture, dans des « macro-zones » choisies d’environ « un mètre carré ». Les intervalles de la surveillance courante doivent être fixés dans chaque cas, et le travail confié à des professionnels. La surveillance régulière est essentielle pour les peintures, l’accès permanent aux biens culturels doit donc être légalement garanti, même s’ils se trouvent sur une propriété privée. Si un équipement de suivi des conditions atmosphériques ou même de surveillance des dommages causés par les visiteurs doit être installé, des dispositions légales doivent être prises en ce sens. Le contrôle des lampes et du type d’éclairage des peintures est essentiel, et doit aussi faire l’objet de dispositions légales. L’humidité due à un excès de visites est un autre facteur à soumettre à un contrôle. La prise de mesures d’urgence en cas de situation spéciale constatée suite à une surveillance vigilante doit être édictée au niveau statutaire.
Article 6 : Présentation, recherche et informationLa présentation du site et du patrimoine doit être principalement guidée par les considérations relatives à la détérioration chimique, physique ou autre. Elle doit toujours être envisagée à la lumière de ces critères. Parallèlement, le public doit avoir l’occasion d’apprécier la valeur du patrimoine. Il convient donc de donner au public intéressé et aux érudits toutes les occasions de se pencher sur les précieux trésors du passé et de communiquer leurs observations aux lecteurs intéressés. Il serait bon d’intégrer un volet de recherche au système de protection du patrimoine. L’information du public est un domaine nécessitant un maximum d’effort. La littérature sur le sujet et, plus particulièrement, de bonnes études illustrées, sont indispensables. Des installations destinées aux touristes et aux groupes religieux doivent être mises en place. L’exactitude des informations scientifiques mises à la disposition du public doit être soigneusement vérifiée.
Article 7 : Qualifications professionnellesCet aspect de la formation à différents niveaux de spécialisation doit être bien assuré. Qu’il s’agisse d’un simple technicien ou d’un professeur faisant autorité sur une spécialité donnée, tous doivent avoir l’occasion de mettre à jour leurs connaissances. À chaque niveau d’intervention, les jeunes acteurs de la conservation des peintures doivent recevoir des qualifications académiques remises par des institutions reconnues, en consultation avec des organismes professionnels comme l’UNESCO, l’ICOMOS, l’ICCROM et l’ICOM sur ces questions et sur d’autres aspects professionnels. Les diverses chartes promulguées sur des disciplines associées, telles la Gestion du patrimoine archéologique – ICOMOS, 1990, le Tourisme culturel – ICOMOS, 1999, et bien d’autres, doivent être consultées. Des échanges de formation, dans une optique d’actualisation des connaissances des spécialistes et d’information sur les études menées en parallèle dans différentes régions du monde, doivent être encouragés.
Article 8 : Coopération internationaleLe partage du patrimoine commun de l’humanité est un concept auquel on ne s’oppose pas. Il est nécessaire de le renforcer et de l’encourager autant que possible, et ce à tous les niveaux d’activité. Dans chaque nation, les professionnels doivent se mettre en liaison avec les organismes professionnels ou institutionnels mondiaux, et collaborer en vue de mettre à jour les connaissances et l’expérience communes, afin de contribuer aux publications scientifiques internationales et nationales dans les diverses disciplines de la conservation des peintures, car celles-ci sont un outil majeur pour se tenir au fait des recherches conduites partout dans le monde. Les méthodes modernes de communication, par les médias électroniques, peuvent apporter une aide immense dans ce domaine.
zdroj: Icomos Slovakia